Les Droites en France by René Rémond

Auteur:René Rémond [Rémond, René]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Politique
Publié: 2016-01-10T23:00:00+00:00

Mais puisque les critères se renouvellent, ne suffit-il pas de diriger le regard vers les nouveaux problèmes, ceux-là même en fonction desquels s'opèrent les clivages d'aujourd'hui ? Ainsi, à l'inverse de la question religieuse qui s'efface du champ politique, la politique extérieure occupe une place qui va grandissant dans les débats de politique intérieure. C'était jadis un lieu commun que les considérations de cet ordre laissaient indifférents les parlementaires du rang et ne pesaient pas sur les déterminations des électeurs ; les choses à cet égard ont bien changé. Nous en avions, on s'en souvient peut-être, relevé les premiers indices dans l'entre-deux guerres : n'était-ce pas déjà sur ce type de questions que les droites se sont désunies ? Depuis, le poids de l'extérieur n'a fait que croître. On pourrait donc escompter que ce soit là un bon critère. Erreur : sur aucun problème, à aucun moment, les divisions de l'opinion ne se sont calquées sur le tracé de la frontière entre la droite et la gauche telles qu'on les entend ordinairement. Il n'y a pas une politique étrangère de gauche ; pas plus qu'il n'y a une diplomatie ou une stratégie de droite. Au temps de la guerre froide toutes les tendances, le parti communiste excepté, faisaient bloc pour l'adhésion au Pacte Atlantique ; la ligne de séparation passait donc très au large des rivages de la droite et englobait une grande partie de la gauche. En sens inverse les projets d'unification de l'Europe, et surtout celui de la Communauté Européenne de défense, ont enfoncé un coin dans l'unité des droites et ajouté un principe supplémentaire de discorde. Ils ébranlèrent les coalitions habituelles et poussèrent des partis ordinairement proches à se séparer pour contracter ce que le vocabulaire politique appelle des alliances contre nature : ainsi droite et gauche se fractionnèrent et leurs fractions désunies se regroupèrent selon des affinités imprévues : d'un côté M. R. P. et S. F. I. O. alliés à la majorité des modérés, dans le camp adverse communistes et gaullistes avec un appoint de modérés. La campagne pour les premières élections au suffrage universel à l'Assemblée européenne, en juin 1979, reforma ces combinaisons insolites où les quatre grandes tendances se retrouvèrent accolées deux à deux dans d'étranges figures. Sans doute l'idée d'une Europe unie est-elle encore trop récente pour avoir déjà sa place assignée dans l'espace idéologique : comme l'idée de nation, dont on a vu les vicissitudes politiques, la notion d'Europe est, réduite à elle-même, une forme vide dont la signification idéologique dépend du contenu qui lui est infusé : espace largement ouvert à la concurrence internationale et à l'initiative des multinationales, elle sera de droite et patronnée par les libéraux ; associée à une volonté de transformation des structures économiques, expression démocratique des peuples, elle sera récupérée à gauche. De là qu'aient pu se retrouver, dans le même camp des partisans de l'intégration européenne, des socialistes et des libéraux, des modérés et des hommes de gauche. Quoi qu'il en soit, la conclusion

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